Stéphane ELIARD
Directeur Artistique des RIPO
S.eliard@ripoapap.com
Pour la seconde fois, et à dix années d'intervalle, l'APAP me sollicite pour assurer la direction artistique des Rencontres Internationales de Peinture de Ouagadougou (RIPO). La publication de mon livre sur l'art contemporain au Burkina Faso en 2003, m'avait en effet déjà valu cet honneur dès la première édition des RIPO en 2006. C'est avec le même enthousiasme que j'ai répondu à l'appel de Suzanne Ouédraogo tant est grand pour moi le plaisir de revenir à Ouagadougou travailler de nouveau avec elle. Qu'est-ce qui a changé entre 2003 et 2016 ? A la fois peu et beaucoup de choses.
D'un point de vue sociologique l'art se pense – très schématiquement – comme un système dynamique au sein duquel interagissent les institutions de production, de distribution et de consommation des œuvres. Ce tissu socio-culturel n'est aujourd'hui guère plus développé au Burkina qu'il ne l'était en 2003. On y chercherait toujours en vain une grande galerie d'art, une revue d'art consacrée à la production théorique et aux échanges critiques, un centre d'art répondant aux standards internationaux, une école d'art, des commissaires d'exposition actifs et inventifs... Il s'en suit que la visibilité internationale des artistes burkinabè reste toujours aussi faible. Bien que le pays produise toujours plus de jeunes talents dont la volonté d'expression ne faiblit pas, il n'existe pas actuellement au Burkina un écosystème leur permettant de s'épanouir pleinement. Voilà ce qui n'a pas changé.
D'un autre coté, en 2003, on ne parlait pas de street art et beaucoup d'artistes venaient de l'artisanat (touristique et/ou traditionnel). Les graffitis qui se déploient sur les murs de Ouagadougou marquent l'arrivée d'artistes venant d'autres horizons, d'autres référents esthétiques. Il y a treize ans, de nombreux artistes burkinabè craignaient la diffusion de leur images sur internet par peur du plagiat. Aujourd'hui, chacun possède un smartphone et mesure bien l'intérêt d'une communication bien gérée sur les réseaux sociaux. La technologie contribue à désenclaver la société burkinabé et les artistes trouvent ainsi par eux-mêmes, plus facilement qu'hier, des débouchés étrangers palliant à l'étroitesse du marché national. Aujourd'hui, les jeunes artistes expriment franchement leur parcours existentiel personnel sans se cacher derrière de tortueuses métaphores. Le « Je » moderne s'affirme. Certains y verront la marque d'une société individualiste ou se perdent les anciennes solidarités. Les autres y verront le signe d'une société plus ouverte et stimulante ou les individualités s'expriment plus librement. En 2003, rares étaient les artistes qui abordaient frontalement les problématiques sociales ou politiques. Cela pouvait se comprendre aisément. Mais on a pu voir lors des événements d'octobre 2014 que les artistes étaient aux avant-postes du mouvement tant par leur œuvres que par leur présence effective dans la rue.
En fait, la société burkinabé évolue et les artistes accompagnent cette évolution en tant qu'observateurs, certes, mais aussi en tant qu'acteurs. N'est-ce pas aux artistes qu'il revient de faire vibrer les cordes sensibles de nos sociétés ? Nous espérons, avec les RIPO en apporter la démonstration. Nos intentions sont à la fois modestes et ambitieuses. Modeste car nos moyens le sont et parce les RIPO seules ne peuvent révolutionner le monde de l'art burkinabé. Mais nous croyons fermement qu'à raison d'une édition tous les deux ans, elles peuvent contribuer à le dynamiser, notamment par l'accroissement des échanges avec l'étranger. Nous espérons que notre bébé grandira et grossira et que par, son propre développement, il contribuera à celui du champs des arts plastiques et, au-delà, de la culture au Burkina Faso. Telle est notre ambition.
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